─ Felizitas Ammann
Danse et théâtre en Suisse
 

Entre implanation locale et réseau international

« Malentendu » est à la fois le thème du meeting de Zurich mais aussi un thème perpétuel et latent, propre à un réseau international. Le thème est également récurrent en Suisse où il nÂ’est pas nécessaire pour un dialogue interculturel de communiquer avec dÂ’autres pays. Chaque jour ici, que ce soit en politique, dans la vie courante ou dans les arts, les chances, risques et effets de malentendus se font ressentir. La Suisse nÂ’est pas seulement un pays où lÂ’on parle plusieurs langues mais aussi un pays où trois zones culturelles cohabitent. Et aucune dÂ’entre elles ne se réfère à la capitale politique, Berne ; toutes regardent vers les grands pôles : Berlin, Paris et Milan.
La Suisse est un petit pays, dÂ’une superficie dÂ’un peu plus de 40 000 km2, avec quelque 7 millions dÂ’habitants. Mais vue de lÂ’intérieur, la Suisse est encore plus petite : le système fédéral divise le pays en 26 cantons, qui en collaboration avec les villes sÂ’occupent de la promotion de la danse et du théâtre. Toutes les villes de grande taille possèdent leur propre théâtre municipal institutionnel, leurs troupes et théâtres indépendants. La Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia participe au soutien et favorise essentiellement la promotion des tournées nationales et internationales, des programmes dÂ’échange et des plates-formes de promotion (telles que « Gipfelstürmer » ou celle des « Journées de danse contemporaine suisse »). Les fondations privées travaillent également avec beaucoup dÂ’efficacité. Tous se sont engagés depuis quelques années pour que la danse et le théâtre ne sÂ’expriment pas seulement à un niveau local, mais pour que des spectacles invités et des tournées établissent un dialogue interculturel, à lÂ’extérieur et à lÂ’intérieur même du pays.

Un pays avec au moins trois traditions scéniques
Tandis que dans la scène indépendante, la danse et le théâtre se rapprochent toujours un peu plus et sÂ’entrecroisent (tout en travaillant avec dÂ’autres disciplines artistiques tels que la musique, lÂ’architecture, les nouveaux médias et les arts visuels), les deux disciplines possèdent en Suisse leur histoire propre, bien distincte lÂ’une de lÂ’autre. Le théâtre possède une vieille tradition, ou plus précisément trois traditions : le Tessin, petite zone linguistique italophone, ne possède pas dÂ’établissement de production, mais des théâtres hôtes invitant surtout des troupes de théâtre italiennes en tournée. Quelques troupes indépendantes sÂ’y produisent également.
La Suisse romande connaît le système français de plan de saison avec prolongations, sans ensemble fixe : les spectacles sont crées en alternance par des artistes invités, joués et envoyés ensuite en tournée. Bien quÂ’il sÂ’agisse dÂ’une « petite » région ( 12 000 km2 pour moins de 2 millions dÂ’habitants), les troupes indépendantes voyagent beaucoup à lÂ’intérieur même de la Suisse romande ; ceci de façon plus renforcée encore depuis 1993 avec « Corodis », fonds alimenté en commun par les cantons et villes concernées, soutenant les tournées. Bon nombre de théâtres, indépendants ou institutionnels, se sont profilés comme lieux de créations. LÂ’esthétique théâtrale est sous influence française et se concentre sur le théâtre parlé traditionnel. À lÂ’est de la « barrière de rösti » (cÂ’est ainsi quÂ’on nomme ici la barrière de la langue), cette tradition est peu reconnue : rares sont les troupes invitées et lorsque cÂ’est le cas, il sÂ’agit plutôt du genre performatif.
En Suisse alémanique, sept villes possèdent leur théâtre municipal avec un ensemble fixe, jouant pour le public local et dont quelques-uns détiennent une renommée internationale. Dans les années 80, la scène indépendante sÂ’est renforcée et érigée clairement en contrepoids face à ces institutions établies et hiérarchisées, grâce à des modèles de travail émancipés, une esthétique expérimentale et des thèmes dÂ’actualité. Depuis là, différentes tendances se distinguent : le genre performatif, le documentaire, le théâtre musical, la lecture, des jeunes auteurs. Mais de nouveau, rares sont les compagnies qui franchissent la barrière linguistique.

En quête constante de nouveaux talents
Entre-temps, la scène indépendante et les théâtres municipaux se sont rapprochés : la première sÂ’est professionnalisée et les seconds sont devenus plus novateurs. Mais surtout les frontières se sont effacées au profit des metteurs en scène, acteurs ou scénographes qui travaillent dans les deux sphères.
La jeune génération évolue de toute façon sur toutes les scènes : les troupes profitent de meilleurs réseaux et dÂ’une multitude de platesformes pour la relève. Certains nouveaux venus sont déjà demandés à un niveau international et coproduits par plusieurs établissements. Leurs thèmes et leurs esthétiques ont un caractère international (et traversent finalement plus facilement la « barrière de rösti »). En Suisse comme à lÂ’étranger, une vaste dynamique se fait ressentir, avec cependant quelques défaillances : le marché demande sans cesse de nouveaux talents, de plus en plus recrutés à la sortie des écoles. Cette cadence nÂ’est pourtant pas forcément favorable à un développement durable.

La danse : pas de formation, pas de profession
Un réseau international, un haut niveau artistique, les jeunes talents en point de mire : tout cela sÂ’applique également à la danse. Cependant son évolution des dernières années est tout autre que celle du théâtre. Il existe sept ensembles de danse appartenant à des établissements tridisciplinaires et opéras dont certains ont atteint un haut niveau ainsi quÂ’une renommée internationale. Ce qui est beaucoup pour un si petit pays, étonnement. La scène libre est restée pendant longtemps très limitée : peu de compagnies effectuaient des tournées nationales. Une formation professionnelle en danse ou en chorégraphie nÂ’était possible quÂ’à lÂ’étranger et le peu des personnes formées revenaient ensuite en Suisse. Encore en 2000, la Suisse comparée à lÂ’échelle internationale était très mal positionnée en matière de danse : il nÂ’existait aucune formation fédérale reconnue et ainsi aucune reconnaissance de la profession (générant de grands problèmes de protection sociale pour les danseuses/danseurs et chorégraphes) ; faisaient défaut les subventions, les scènes aux infrastructures adaptées, les réseaux, lÂ’encadrement adapté des tournées, lÂ’archivage et la recherche.

Un bond en avant prodigieux en quelques années seulement
En quelques années, cette image sÂ’est étonnamment modifiée pour devenir une réussite, obtenue seulement grâce à lÂ’aide de tous ses protagonistes. De 2002 à 2006, le « Projet Danse » a été lancé : lÂ’Office fédéral de la culture, la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia, les villes et cantons, les organisateurs et les artistes analysèrent lÂ’état et les défauts de la situation pour trouver ensemble des solutions dans le cadre de groupes de travail. Entre-temps, les domaines de la formation et de la documentation sont en bonne voie ; il existe même depuis peu un cursus de master en étude de danse à lÂ’Université de Berne. Avec « Reso – Réseau Danse Suisse » sÂ’est créé un réseau actif de programmateurs, producteurs et dÂ’organisations. Des modèles de promotion élaborés nouvellement permettent aux troupes de travailler sur le long terme de façon durable et encouragent lÂ’organisation de tournées. La promotion de la danse au niveau national oeuvre de façon ciblée en faveur dÂ’une promotion internationale. Tout ceci a contribué à lÂ’établissement en Suisse dÂ’une scène variée et stable, disposant de 40 à 50 compagnies au rayonnement international.
La « barrière de rösti », barrière non seulement linguistique mais aussi culturelle, fait parler dÂ’elle également en danse. Pour résumer brièvement, la scène de la danse suisse romande était considérée comme plus innovatrice que celle de la Suisse alémanique (au contraire du théâtre), peu dÂ’échanges avaient lieu. Mais ces derniers temps, des ponts se sont bâtis : beaucoup de troupes effectuent des tournées dans toute la Suisse – même si un succès préalable à lÂ’étranger fut parfois nécessaire. Les échanges sont plus fréquents et certains artistes de régions linguistiques différentes collaborent ensemble. Lors de ces contacts, les « malentendus » participent à la créativité des projets. CÂ’est déjà le cas pour beaucoup de professionnels de la danse originaires de cultures différentes et travaillant ensemble en Suisse.

Felizitas Ammann
journaliste indépendante et auteure



Promotion des auteurs favorisant lÂ’expérience pratique
Un dramaturge suisse ? Depuis Dürrenmatt et Frisch, personne nÂ’avait réussi à se faire un nom à lÂ’étranger jusquÂ’il y a peu. La situation a pourtant évolué en peu dÂ’années et à lÂ’intérieur du pays, de nouvelles pièces connaissent actuellement un réel succès. Étant donné quÂ’il nÂ’existait pas en Suisse dÂ’institution de formation pour dramaturge, les théâtres ont joué un grand rôle dans cette fonction. À la fin des années 90, différents établissements indépendants et associations ont développé des projets dÂ’auteurs communs et des modèles de coproduction. Le plus couronné de succès fut le « Dramenprozessor », une bourse dÂ’études pour jeunes auteurs, qui développent leurs pièces en étant sans cesse exposées aux metteurs en scène et acteurs. Le modèle fut repris en Suisse romande avec «TEXTESgengSCENES». Les modèles favorisant lÂ’expérience pratique assurent que les pièces soient jouées, aussi bien dans les grands théâtres municipaux quÂ’à lÂ’étranger.


Typiquement suisse : un centre de compétence Décentralisé
De telles lacunes en matière de promotion de la danse ont permis dÂ’établir un concept global. Mais impossible pour autant de réaliser une maison de la danse nationale dans un système fédéral comme celui de la Suisse. Voilà pourquoi un « centre de compétence décentralisé » fut créé : les établissements existants et initiatives locales doivent être utilisés et si nécessaire développés pour la mise en place dÂ’un réseau, dont les membres remplissent ensemble toutes les fonctions dÂ’une maison de la danse. Depuis 2007, ce réseau existe par lÂ’intermédiaire de « Reso – Réseau Danse Suisse », composé actuellement de 33 membres provenant de toute la Suisse et possédant un secrétariat à Berne. Les membres échangent régulièrement , sÂ’engagent pour le développement de la danse et lancent des projets communs en matière de coproduction, de médiation culturelle et dÂ’archivage.